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Histoire
Au centre du village de L’Isle-Verte, les passants peuvent remarquer un bâtiment coiffé d’un toit à quatre versants surmonté d’un belvédère. Son aspect général et la grandeur des fenêtres qui percent sa façade attirent la curiosité de nombreux amateurs d’architecture. Cet édifice abritait autrefois le palais de justice, où siégeait la Cour de circuit du comté de Témiscouata.
Bas-Saint-Laurent
À partir de la fin du 17e siècle, la région du Bas-Saint-Laurent va connaître plusieurs vagues successives de colonisation, qui d’Ouest en Est, laissent peu de territoires inoccupés. Vivant essentiellement de la forêt, de l’agriculture et de la pêche, ses premiers habitants sculpteront en grande partie les paysages que nous admirons aujourd’hui.
Les premiers établissements permanents des colons se situent le long du fleuve, le plus souvent à l’embouchure des rivières. C’est ainsi que naissent les premiers villages. À partir de 1672, le territoire est concédé en seigneuries et découpé en longues bandes de terre étroites perpendiculaires au fleuve. Les maisons, judicieusement implantées en fonction du soleil et des vents dominants, s’égrènent le long des chemins et des rangs. Ces habitations traditionnelles sont construites majoritairement en bois et recouvertes d’un parement de bardeaux ou de planches à clin. Le clocher d’une église signale, ça et là, la présence d’un village.
L'Isle-Verte
Parmi ces villages prospéra lentement celui de L’Isle-Verte. Tout d’abord dès 1653 son territoire s’étendant de part et d’autre de la rivière Verte est cédé pour la première fois à Louis Lauzon sieur de la Citière, qui usera des terres comme pourvoirie à son profit.
Suite à de longues transactions, en 1711, Jean-Baptiste Côté devient le premier seigneur résidant. Il s’en suivra une longue période d’établissement et d’édification du village, autour d’un moulin banal et des premières terres ardemment défrichées par les censitaires.
Les descendants, poursuivant l’œuvre de leurs pères, feront croître la paroisse jusqu’à son sommet démographique en 1880, avec près de 3300 âmes. Cette population profite de l’important développement économique de la région concrétisé par le centre industriel créé par la famille Bertrand. Petit empire de plus de vingt entreprises bâties sous l’égide du père Louis et son fils Charles en 1811. En 1896, la mort de Charles amène l’écroulement de cet empire industriel. C’est durant cette période de prospérité que vécut Louis-Narcisse Gauvreau, notaire et greffier, qui couvait en son cœur un rêve… Transformer le lopin de terre, qui faisait face à sa demeure, en un petit palais de justice.
Cour de circuit
Dès 1794, une loi sur l’organisation judiciaire est adoptée par le premier Parlement du Bas-Canada (Québec). Il y est prévu que des juges siègent en « circuit » pour régler les petits litiges. En 1853, L’Isle-Verte est choisie pour devenir le chef-lieu du nouveau comté de Témiscouata, compris entre les comtés de Kamouraska et de Rimouski ce qui favorise l’ouverture d’une cour de justice. Un bureau d’enregistrement, ouvert depuis 1849, dessert déjà la partie ouest du comté de Rimouski. Les causes de tout le comté sont alors entendues dans une maison privée, celle de Napoléon Côté. L’acte judiciaire du Canada, adoptée en 1857, prévoit une réorganisation du fonctionnement des cours de circuit et le gouvernement offre une aide financière pour favoriser la construction d’un palais de justice dans chaque comté. Une subvention de 1200 dollars permettra à l’élite locale, aidée par Benjamin Dionne alors député de Témiscouata, de doter le village d’un petit palais de justice. L’édifice de la Cour de circuit de L’Isle-Verte fut l’un des premiers construit à la suite de l’amendement en 1857 des actes de judicature du Bas-Canada pour assurer aux résidants des régions rurales un meilleur accès aux tribunaux inférieurs. Au cours des dix années suivantes, le nombre de palais de justice de district passe de 7 à 12, et celui des palais de justice de comté de 2 à 25.
Pour bénéficier de la subvention, le conseil de comté de Témiscouata délègue en décembre 1858 Benjamin Dionne, maire de Cacouna et député de la région, afin de faire les démarches nécessaires à l’obtention des 300 louis pour ériger un palais de justice. Le notaire Louis-Narcisse Gauvreau, greffier de la Cour de circuit, offre gratuitement le terrain de construction du nouveau bâtiment. Les travaux débutent au printemps de 1859 : le 11 mars, le conseil de comté verse une somme de 374 $ à Louis Bertrand pour les madriers sciés à son moulin et utilisés dans la construction du palais de justice. Un mois plus tard, les fenêtres et les portes sont prêtes et, avant la fin de l’année, l’édifice accueille ses premiers occupants.
Ce petit palais de justice sera le lieu où plusieurs milliers de conflits seront jugés jusqu’à sa fermeture en 1918. Avant la Confédération, la province de Québec était divisée en 21 districts judiciaires comptant des tribunaux dits supérieurs et inférieurs. Les cours de circuit permettaient aux petites communautés d’avoir accès au système judiciaire de la province. Un juge itinérant venait y entendre les causes relevant du croit civil et dénouait les intrigues de nos ancêtres. Il est donc un témoignage architectural de la vie du 19e siècle et le symbole de l’ordre sur lequel s’échafaudera notre nation. Comme la Cour de circuit en siège à L’Isle-Verte que quelques jours pendant l’année, entre le 21 et le 25 du mois de mars, juin et octobre, les séances peuvent se tenir dans tout bâtiment public, auberge ou presbytère. Il semble toutefois que le juge entendait les causes au bureau d’enregistrement du comté, où se réunissait déjà le conseil municipal.
Les autorités abolirent la Cour de circuit en 1918, ce qui fit disparaître les tribunaux de comté en faveur de palais de justice centralisés, tel celui de Rivière-du-Loup. Le conseil municipal continue d’utiliser l’édifice comme salle paroissiale jusqu’en 1971.
La justice au 19e siècle
Fruit de la décentralisation du système de justice, l’apparition des cours de circuit donna aux habitants des régions les moyens de protéger leurs droits civils et d’assurer à tous la possibilité de se rendre sur les lieux de procès en couvrant une distance raisonnable. À l’époque, la Cour de circuit constitue un tribunal inférieur chargé de trancher les litiges de dix livres sterling ou moins. Les causes civiles plus importantes et les causes criminelles sont jugées devant la Cour supérieure, qui siège dans les palais de justices des districts judiciaires.
Le travail de la justice se vit alors simplifié et la marche du bon droit suivit son cours. La plainte déposée au greffier cheminait jusqu’au défendeur par l’intermédiaire du huissier et se voyait plaidée à date précise de la cour devant un juge itinérant et des avocats désignés par les parties. Alors s’inscrivait par la décision du juge le résultat du procès.
Les procès
De multiples causes du code civil furent entendues à la Cour de circuit de L'Isle-Verte. Elles touchaient l’arbitrage sur des divisions territoriales, sur des ventes, sur des salaires et parfois se plaidaient des questions d’honneur.
Comme exemples nous pouvons citer les cas de la vente du banc 41 de l’église de Notre-Dame-des-Neiges, celui de l’homme qui abattait des arbres sur les terres de la couronne, ou encore la pêche au fer (Voir le livre La Cour de circuit de L’Isle-Verte de Robert Michaud).
Usage communautaire
La Cour de circuit de L’Isle-Verte était à usage communautaire.
Siège et lieu de réunion du conseil de comté :
Les maires du comté de Témiscouata y tenaient leurs séances de 1862 jusqu’à 1928, quand Rivière-du-Loup devient le nouveau chef-lieu du comté.
Lieu de réunion du conseil municipal de L’Isle-Verte :
Le conseil y a tenu sa première réunion le 2 avril 1860. Les conseils du village et de la paroisse s’y réunissent de 1952 à 1971.
Siège de la Société d’agriculture du comté de Rivière-du-Loup :
En 1924, la Société d’agriculture du comté de Témiscouata décide d’y tenir ses assises. Devenue plus tard la Société d’agriculture du comté de Rivière-du-Loup, elle continuera de s’y réunir jusqu’en 1969.
Les autres usages :
C’était la salle publique de L’Isle-Verte et toutes sortes d’activité y ont eu lieu : élections, banquets, conférences, cours, etc. Il est aussi probable que l’Institut littéraire de L’Isle-Verte, un cercle d'amis de littérature fondé en 1859, y a tenu ses réunions.
La restauration
Le 25 avril 1979, le ministre des Affaires culturelles du gouvernement du Québec, Denis Vaugeois, classe l’immeuble comme monument historique. En 1981, le Palais de justice est reconnu comme lieu historique national par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. Les années 1998 à 2001 virent l’aboutissement du projet de restauration fruit du travail de nombreux artisans et spécialistes.
Cette restauration du bâtiment visait à lui redonner le plus possible les caractéristiques qu’il avait au moment de sa construction afin de souligner son architecture vernaculaire et l’importance du lieu pour sa communauté.
L'architecture
Les palais de justice de districts judiciaires ou de villes importantes sont bâtis à partir des plans d’architectes souvent fournis par le gouvernement lui-même. Pour leur part, la conception et la construction des petits palais de justice, notamment les cours de circuit, étaient laissées à l’initiative des autorités locales. Ce fut le cas à L’Isle-Verte.
Le bâtiment, érigé en 1859-60, a été complètement construit en bois. Il est assis sur des fondations en pierre sèche et un solage de grosses pièces de cèdre. Le carré, de 13,8 m (45 pi.) en façade par 10,7 m (35 pi.) en profondeur, est constitué de larges madriers de pin empilés sur le plat. Les murs extérieurs sont lambrissés en planches à clin.
La toiture en croupe, avec des avant-toits retroussés, est couverte en bardeaux de cèdre. Sa forme lui est donnée par une charpente spectaculaire dont les pièces jointées sont uniquement bloquées par des chevilles de bois. Celle-ci dégage un vaste grenier éclairé par deux lucarnes; un escalier donne accès au belvédère que le devis de construction identifiait comme un vide-bouteille. Des tirants de métal, accrochés aux chevrons, supportent la longue portée des poutres du plafond et l’empêche de s’affaisser. Il n’y a aucun mur porteur au niveau du rez-de-chaussée. Cette pièce d’une hauteur de 3,6 m (12 pi.), logeait la salle d’audience, le bureau à la verticale et comporte plusieurs éléments menuisés qui lui donnent beaucoup de caractère. Un lanternon et une terrasse faîtière rappelant les dômes des bâtiments publics plus imposants confère à ce palais de justice un air solennel. Sa conception simple et élégante convient parfaitement à sa vocation d’origine, qui était de servir tantôt de tribunal, tantôt de salle communautaire. La fonction officielle du bâtiment est soulignée par ses quelques caractéristiques architecturales qui le différencie des autres habitations de même inspiration du village.
Le style général du bâtiment prend son inspiration lointaine dans l’architecture ancienne, grecque et romaine; on parle de style néo-classique. Par la forme et les détails (terrasse faîtière et belvédère) de sa toiture, il s’inspire des villas et des cottages construits d’abord dans les nouvelles banlieues des grandes villes, notamment Québec, par des familles bourgeoises. Venu d’Angleterre, ce style s’est diffusé à travers le Québec durant la première moitié du 19e siècle, en s’adaptant aux goûts et aux besoins des gens d’ici.
Reflet des déplacements de personnes, de la circulation des idées et des modes, ainsi que des échanges commerciaux, le style s’est diffusé à travers les régions rurales du Québec, jusqu’à L’Isle-Verte et même plus loin en Gaspésie. En 1859, lorsque des citoyens de L’Isle-Verte et de la région décident de construire un palais de justice, ils ont déjà devant leurs yeux des bâtiments de type cottage déjà construits dans la paroisse : la maison des Jarvis (maintenant la Grande Ourse), la maison de Narcisse Bertrand (Jean-Pierre Thériault) et d’autres. Les esquisses préalables sont alors dessinées par des citoyens de L’Isle-Verte et la construction est l’œuvre d’entrepreneurs et d’artisans de la région. Aucun architecte n’est intervenu dans ce projet, comme c’était plus souvent le cas lors de la construction de bâtiments publics; c’est pourquoi, on parle d’architecture vernaculaire.
Quelques points remarquables sur l’architecture du bâtiment :
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Le clocheton
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Murs recouverts de planches à clin
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Avant-toits retroussés
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Baies de fenêtre larges et hautes
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Symétrie de l’ensemble.
Récipiendaire de prix
Dans le cadre des Prix du patrimoine du Bas-Saint-Laurent
Dans le cadre des Prix du patrimoine du Bas-Saint-Laurent édition 2002, la Cour de circuit de L’Isle-Verte s’est vue décerner un prix dans la catégorie « Conservation et restauration ». Grâce aux efforts concertés de la Fondation du patrimoine de l’Isle-Verte et de divers intervenants culturels, la Cour de circuit a retrouvé sa splendeur d’antan à la suite d’importants travaux de restauration évalués à près de 400 000 dollars.
Ce concours vise à souligner les efforts réalisés par les entreprises touristiques et les individus à la sauvegarde et la promotion du patrimoine du Bas-Saint-Laurent.
Dans le cadre des Grands Prix du tourisme québécois
Dans le cadre des Grands Prix du tourisme québécois édition 2002, la Cour de circuit de L’Isle-Verte s’est vue décerner un prix dans la catégorie « Attraction touristique – moins de 100 000 visiteurs ». Ce prestigieux concours contribue depuis vingt ans à faire connaître à la population québécoise l’élite touristique en matière d’hébergement, de restauration, d’évènements, d’attractions, de services, de plein air et d’aventure et de transports.
La restauration des lieux et de la mise en place d’éléments d’interprétation dynamiques ont su charmer les visiteurs et lui ont valu ce prix, qui souligne le nouveau souffle donné à ce joyau du patrimoine.
Photos
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